Manuel pour les étudiants de la IVe année Dossier 8.

Littérature française du XXe siècle = Французька література ХХ століття: У 2 ч. / Укл. Г.Ф. Драненко, О.О. Матвєєва. – Чернівці: Рута, 2007. – Частина 2. – 88 с.

DOSSIER 8.  ANDRÉ MAUROIS (1885-1967)


1. Sa vie et son œuvre
André Maurois (pseud. de Émile Wilhelm Herzog) est né le 6 juillet 1885 à Elbeuf, mort le 9 octobre 1967 à Neuilly. Issu d'une famille israélite et d'un père fabricant de draps à Mulhouse, qui émigra avec son entreprise après la guerre de 1870 pour venir s'installer à Elbeuf. Il fait ses études au lycée de Rouen, où il a Alain pour professeur de philosophie. Puis il obtient le grade de licencié en philosophie. Il commence à travailler dans la filature paternelle, mais il montre plus de dispositions pour les lettres. La guerre de 14-18, qu'il accomplit comme agent de liaison auprès de l'armée britannique, lui permet de réaliser sa véritable vocation, celle d'écrivain. Et c'est dès 1917 qu'il écrit Les Silences du colonel Bramble, qui obtiendront un vif succès. Ce récit sera suivi de trois autres romans qu'André Maurois a défini avec concision et clarté: "Le colonel Bramble, c'est un effort pour faire comprendre aux Français l'âme anglaise, aux Anglais l'âme française”.
Bernard Quesnay (1926), un effort pour montrer que, du côté ouvrier comme du côté patronal, on peut trouver de la bonne foi. Climats (1928), un effort pour représenter avec équité le point de vue de la femme et celui de l'homme dans le couple: Le Cercle de famille (1932), un effort pour réconcilier les générations. Ces quatre romans avec lesquels on peut citer Les Discours du docteur O'Grady (1922), Le Pays des trente six mille volontés (1928), Voyage aux pays des articoles (1928), Patapouf et Filifers (1930), Le Peseur d'âmes (1931), L'Instinct du bonheur (1934), La machine à lire les pensées (1937), Les Mondes impossibles, Récits et Nouvelles fantastiques (1948), expriment, dans leur ensemble, un thème, qu'avec sa prose harmonieuse, son sens de la mesure et de la pudeur, sa finesse et sa sensibilité très vives, André Maurois sait développer avec art, l'amour souvent lié а la solitude parce qu'il est un sentiment difficile à partager. Dès 1938, André Maurois est élu a l'Académie française.
Après la guerre, qu'il passera aux États-Unis et en Afrique du Nord, ou il écrivit de nombreux articles et fit de multiples conférences, il devait commencer une nouvelle carrière, celle de journaliste, comme collaborateur de journaux littéraires et surtout, poursuivre celle de biographe, où il excella: il est plus connu, aujourd'hui, pour ses vies de personnages illustres que pour ses romans. Il est vrai qu'il avait déjà prouvé depuis longtemps ses qualités en publiant Ariel ou La vie de Shelley (1923), La Vie de Disraeli (1927) et René ou la Vie de Chateaubriand (1938).
Les vingt dernières années de son existence furent consacrées à des recherches sur la vie d'écrivains du XIXème sicle, recherches auxquelles collabora son épouse, et qui se sont révélées particulièrement intéressantes dans des ouvrages comme Don Juan ou la Vie de Byron (1952), Lélia ou la Vie de George Sand (1952), Olympio ou la Vie de Victor Hugo (1954), Les trois Dumas (1957), Prométhée ou la Vie de Balzac (1965). Ces biographies sont documentées avec soin et écrites avec cet art d'une complicité indispensable entre le biographe et son sujet. А ce travail immense, il convient d'ajouter le nombre d'ouvrages tout aussi soignés, aussi justes de ton, aussi attentifs à respecter la vérité, tels Adrienne ou la Vie de Mme de La Fayette (1960), Destins exemplaires, La Vie de sir Alexander Fleming (1959).
La tolérance, l'humanisme, la pondération, l'honnêteté de l'homme de cœur et d'accueil que fut André Maurois se retrouvent intacts dans son œuvre très diversifiée, puisqu'il écrivit encore, à la fin de sa vie une Histoire parallèle des U S A. et de l'U.R.S.S. (l'histoire de ce dernier pays étant confiée à la plume d'Aragon) (1962), et aussi De Proust а Camus (1963) et De La Bruyère à Proust (1963) qui constituent une série de portraits et d'études sur des écrivains qu'André Maurois savait approcher et révéler avec tact et respect. Tout comme il sut écrire sur lui-même dans ses Mémoires (1948) et son Portrait d'un ami qui s'appelait moi (1959).

2. Sur le style d'André Maurois
L'auteur de Climats a quelquefois protesté contre certaines légendes qui font de lui aux yeux du grand public un "personnage" tout différent de l'homme qu'il est en réalité. Sa vie n'a pas été simple et "sans histoire" et ses drames publics et privés ont souvent mis son courage а rude épreuve. Il n'est pas toujours d'accord non plus avec les jugements qu'on porte sur son œuvre  et sur son art. Dans un petit livre qui lui est consacré, il formule à ce sujet d'intéressantes observations:
"Style facile, limpide, cristallin, disent-ils aussi. Mais là encore, ce style pour le bien et pour le mal, fut une conquête. Si jamais quelque érudit en mal de thèse étudie un de mes brouillons, il s'étonnera de trouver dix, vingt versions successives de toute phrase. Un mot est choisi, barré, remplacé, barré encore, et cela sans fin. Des adjectifs sont sabrés, les tournures précieuses condamnées, les pédantismes éliminés. Quel est l'objet de ce travail incessant? Satisfaire à un instinct fort qui me fait rechercher la transparence, le trait final et surtout l'accord total entre le mot et la chose. J'admire Saint-Simon, Retz, Proust, Alain, mais dès que j'écris moi-même, je reviens, comme un ressort tendu qu'on libère, à ma position naturelle, qui est la recherche d'une simplicité sans ornements et " à ma difficile facilité."
Attachant à la clarté une importance capitale, André Maurois s'exprime dans une langue fluide et colorée. De son style, plus que de tout autre, on doit avouer qu'il révèle l'homme. " Je cherche seulement à dire ce que j'ai à dire ", affirme-t-il. Et sans doute telle est sa volonté; mais sous l'apparente simplicité de la phrase, sous la modération du ton on perçoit constamment l'émotion, la pitié et surtout l'ironie. L'ironie, sa qualité maîtresse, Maurois la doit au XVIIIème sicle. Toute son œuvre  en est imprégnée.
Maurois affectionne le trait final que lui recommandait son maître Alain. C'est le "coup de poing", qui n'est parfois qu'un simple coup de coude. A la fin d'un chapitre, le lecteur est surpris, son attention est retenue.
Il va de soi que, si le trait final revêt une grande importance, le "départ" d'un livre (ou d'un chapitre) comporte lui aussi ses obligations: il faut que le lecteur soit immédiatement averti, provoqué.
Tout jargon philosophique est écarté, André Maurois emploie les mots de tout le monde. Les adjectifs, peu nombreux, sont choisis et placés avec un soin raffiné. Tout ce qui peut rendre la phrase plus légère séduit l'auteur. Quand le sens le permet, (et si la clarté n'est pas mise en cause) les verbes sont supprimés.

Étude de la nouvelle «Le Testament » (193 ?):

1. Les particularités narratives du genre de la nouvelle

La définition de la nouvelle
C’est un récit centré en général autour d'un seul événement dont il étudie les répercussions psychologiques; personnages peu nombreux, qui, à la différence du conte, ne sont pas des symboles ou des êtres irréels, mais possèdent une réalité psychologique: cependant, à la différence du roman, leur psychologie n'est pas étudiée tout entière, mais simplement sous un aspect fragmentaire. La nouvelle cherche à produire une impression de vie réelle.

Aspect psychologique de la nouvelle
L'étude des répercussions psychologiques apparaît comme une caractéristique importante de la nouvelle. Que l'on ait affaire à une nouvelle fantastique, réaliste, policière ou de science-fiction, les états d'âme du personnage principal, ses hésitations, ses réflexions, occupent toujours une large part du récit. L'événement extérieur n'est souvent que le prétexte à la nouvelle, l'élément déclencheur qui permet le déploiement des réactions des personnages, réactions auxquelles s'attarde le nouvelliste, souvent pour faire ressortir la profondeur et la complexité de l'esprit humain. Sans cette facette psychologique, la nouvelle n'est plus qu'un «récit bref».

Narration
Plusieurs auteurs et théoriciens insistent pour dire qu'une nouvelle bien conçue doit se terminer par un événement inattendu – une chute, un point fort dans la narration, un «coup de fouet» soudain, qui serait la raison d'être même de la nouvelle.

Caractéristiques habituelles de la nouvelle:

- Texte court, entre cinq et cinquante pages.
- Histoire réaliste, centré sur un événement impliquant peu de personnages à l'avant-plan.
- Exploitation des répercussions psychologiques; développement autour de l'état d'âme du personnage principal.
- Dénouement inattendu (la chute) qui force une réinterprétation du texte.

Analyse du titre de la nouvelle
Une chose simple, mais essentielle, consiste à s'attarder au titre de l'œuvre. Il est bon de s'y arrêter une première fois avant même d'avoir lu la nouvelle, puis de s'y arrêter de nouveau après la première lecture. Il est rare qu'un titre n'ait aucun lien avec le texte qu'il chapeaute; il constitue donc presque toujours une première clé de lecture, car l'auteur ne l'a pas choisi indifféremment. La même logique s'applique а tout sous-titre qui viendrait nuancer le titre, ou а ces courtes citations placée en tête de l'œuvre qu'on appelle des épigraphes, et qui tentent de préparer le lecteur à l'esprit du texte qui suit.
Après une première lecture, le titre doit être réexaminé. S'agit-il d'un titre qui résume le contenu de l'histoire? D'un titre qui met en évidence le personnage principal? D'un titre qui exprime une énigme ou une solution possible? Ou d'un simple titre cosmétique?

Plan de l’analyse de la nouvelle
·      Le résumé de l'histoire: action, lieu, temps;
·      Les personnages principaux et leur psychologie;
·      Le narrateur;
·      L'ouverture et la fermeture (conditions initiales et finales);
·      L'élément (ou l'événement) perturbateur;
·      L'ambiance générale (examen du vocabulaire et de la structure des phrases);
·      L'interprétation: le message, le but, les opinions exprimées.

2. Analyse de la nouvelle

LE TESTAMENT

Le Château Chardeuil ayant été acheté par un industriel que la ma­ladie et la vieillesse contraignaient à chercher une retraite campagnar­de, tout le Périgord ne parla bientôt plus que du luxe et du goût avec lesquels cette maison, abandonnée depuis un siècle par les marquis de Chardeuil, avait été restaurée. Les jardins surtout, disait-on, étaient admirables.
Les beaux jardins sont rares en cette province rustique et pauvre où la plupart des châtelains imitent les Saviniac qui font de leur parc un potager. Les parterres de Chardeuil soulevèrent jusqu'à Brive, jusqu'à Périgueux et même jusqu'à Bordeaux une intense curiosité. Pourtant, lorsque après un an de travaux les nouveaux propriétaires vinrent habiter le pays, les visiteurs furent moins nombreux que l'on aurait pu s'y attendre. Le Périgord n'accueille les nouveaux venus qu'à bon escient et nul ne savait qui était cette Mme Bernin.
Elle semblait avoir à peine trente-cinq ans, alors que son mari en portait au moins soixante-cinq. Elle était assez belle, et, jusque dans cette solitude, changeait de robe trois fois par jour. Cela ne paraissait pas naturel et d'abord les châteaux pensèrent qu'elle était, non la femme de Bernin, mais sa maîtresse. Quand Mme de La Guichardie, souveraine sociale de cette région, et qui bien qu'elle vécût en province depuis la guerre, connaissait à merveille son Paris, affirma que Mme Bernin était bien Mme Bernin et qu'elle descendait d'une modeste, mais décente famille bourgeoise, les châteaux acceptèrent cette version, car nul, sur un tel sujet, n'eût osé contredire une femme puissante et bien informée. Cependant beaucoup de familles continuèrent à professer en secret une doctrine hérétique et à penser que si Mme Bernin s'appelait bien Mme Bernin, elle n'était pourtant qu'une maîtresse épousée sur le tard.
Gaston et Valentine Romilly, voisins les plus proches des Bernin puisque, de la colline de Preyssac, on aperçoit les tours de Chardeuil, estimèrent qu'ils avaient moins que personne le droit de se montrer sé­vères et, puisque les Bernin avaient mis des cartes à Preyssac et, que Mme de la Guichardie leur donnait toute licence d'être polis, ils décidèrent de rendre la visite.
Ils furent d'autant mieux reçus qu'ils étaient parmi les premiers vi­siteurs. Non seulement les nouveaux châtelains les retinrent jusqu'à l'heure du thé, mais ils offrirent aux Romilly de leur faire visiter la mai­son, les jardins, les communs. Gaston et Valentine Romilly sentirent que ces deux êtres commençaient à souffrir de posséder tant de perfection sans pouvoir la communiquer.
Bernin gardait, de sa royauté de chef d'usine, un ton assez autoritai­re et l'habitude d'affirmer de façon tranchante ses opinions sur les sujets les moins connus de lui, mais il semblait brave homme. Valentine fut touchée par la tendresse qu'il montrait pour sa femme, petite blonde, grasse; douce et gaie. Mais Mme Romilly fut choquée quand, pendant la visite du premier étage, ayant loué la surprenante transformation en un temps si court de cette maison, admiré les salles de bains qui s'étaient nichées dans l'épaisseur des vieux murs et les ascenseurs logés dans les tourelles, elle s'entendit répondre par Mme Bernin:
— Oui, Adolphe a tenu à ce que tout fût parfait ... Pour le moment, bien sûr, Chardeuil n'est pour nous qu'une maison de campagne, mais Adolphe sait que c'est ici que je compte vivre après sa mort, le plus tard possible, bien entendu, et il veut que j'y sois aussi confortable que dans une maison de ville... Vous savez peut-être qu'il a, d'un premier mariage, plusieurs enfants?... Aussi a-t-il pris ses précautions; Char­deuil a été mis à mon nom et m'appartient entièrement.
Dans un pré voisin de la maison, les bâtiments d'une ancienne ferme avaient été transformés en écuries. Gaston admira la beauté des chevaux, la tenue parfaite des harnais, les palefreniers impeccables.
— Les chevaux sont mon plus grand plaisir, dit Mme Bernin avec animation. Papa, qui avait fait son service dans les cuirassiers, mettait ses enfants en selle dès le berceau.
Elle flatta de la main une croupe brillante, puis soupira:
— Évidemment, dit-elle, ce sera une grande dépense que d'entretenir cette cavalerie... Mais Adolphe y a pensé; dans le testament, il est prévu qu'une fondation spéciale s'occupera, dans le parc de Chardeuil, de l'amélioration de la race chevaline... Il sera tout à fait hors part n'est-ce pas, Adolphe? Et de cette manière, vous comprenez, j’échapperai, sur ce chapitre, aux impôts.
Les jardins n'étaient pas encore achevés, mais déjà l'on pouvait deviner le dessin général des parterres. Au milieu d'un long bassin rectangulaire, sur une île artificielle en ciment armé, des ouvriers dressaient des colonnes romantiques. Les promeneurs suivirent une longue allée de châtaigniers. Elle débouchait sur un groupe de maisonnettes, bâties dans le style des fermes périgourdines et couvertes de vieilles tuiles.
— Je ne connaissais pas ce village, dit Valentine.
— Ce n'est pas un village, dit Mme Bernin en riant, ce sont les communs. C'est Adolphe qui a eu l'idée de les bâtir ainsi, par maisons séparées... Et vous allez voir comme c'est ingénieux, à mon point de vue, pour l'avenir: nous avons quelques couples de domestiques dévoués que je tiens à garder, même quand je serai seule... Eh bien, Adolphe léguera à chacun d'eux la maison qu'il occupe, avec une clause annulant ce legs s'il quitte mon service ... De cette façon, non seulement ils sont liés à moi, mais ils se trouvent en partie payés sans que j'aie un sou à débourser... C'est une merveilleuse garantie pour moi... Et c'est hors part, na­turellement... Ses enfants ne peuvent rien dire.
— Croyez-vous, Madame? Est-ce légal? demanda Gaston Romilly.
— Ah, Monsieur, vous ne connaissez pas Adolphe. Il a cherché une rédaction convenable, avec son homme d'affaires, pendant des heures. Vous ne pouvez pas imaginer combien il est plein d'attention, avec son air d'ours... N'est-ce pas, Adolphe?
Elle passa son bras sous celui du vieillard, qui grogna tendrement. Cette promenade fut longue, car on ne fit grâce aux visiteurs ni de la ferme, ni de la laiterie modèle, ni du poulailler aux espèces rares où des centaines de poules merveilleusement blanches gloussaient. Quand enfin les Romilly se retrouvèrent seuls dans leur voiture, Valentine parla:
— Eh bien? demanda-t-elle. Que dis-tu de ces gens-là?
— Bernin me plaît, dit Gaston, il est bourru, trop content de lui, mais je le crois authentiquement bon... Elle est assez bizarre.
— Bizarre? dit Valentine... Je la trouve effrayante... Le testament par-ci... Le testament par-là... «Quand je serai seule. Le plus tard possible... » Cette conversation tenue devant un malheureux sur tout ce qui se passera au moment de sa mort!... Vraiment c'était pénible... Je ne savais que dire.
Ils restèrent assez longtemps silencieux tandis que la voiture longeait les prés brumeux et les peupliers de la vallée. Gaston, qui condui­sait, surveillait la route encombrée d'enfants sortant des écoles. Enfin il dit:
— Tout de même... C'est assez raisonnable, cet ensemble de précautions qu'il a prises pour que sa femme fût parfaitement tranquille après sa mort... En l'écoutant, je pensais à nous... j'ai eu tort de ne pas faire de testament; je vais m'en occuper.
— Quelle idée, chéri!... Elle me fait horreur! D'abord c'est moi qui mourrai la première.
— Pourquoi? Tu n'en sais rien. Tu es plus jeune que moi. Tu n'as aucune maladie... Moi,... au contraire...
— Tais-toi... Tu es un malade imaginaire... Tu te portes à merveille et d'ailleurs, si tu mourais, je ne voudrais pas te survivre... Que serait ma vie sans toi? Je me tuerais.
— Comment peux-tu dire de telles folies, Valentine? C'est absurde. Tu sais très bien que l'on ne meurt pas d'un deuil, si douloureux soit-il... Et puis tu n'as pas que moi au monde; il y a Colette, son mari... Il y a tes petits-enfants.
— Colette a fait sa vie... Elle n'a plus besoin de nous.
— Justement... C'est une raison pour que je prenne, moi, des pré­cautions en ta faveur.
De nouveau ils se turent parce que la voiture traversait un banc de brume plus épais, puis Valentine reprit à voix très basse:
— II est certain que, si le malheur voulait que je te survive de quelques mois, je serais plus tranquille si j'avais... Oh! pas un testa­ment... Cela me paraîtrait de mauvais augure... non... Un simple papier spécifiant que Preyssac et ses terres devront, en tout cas, rester en ma possession jusqu'à ma mort. Notre gendre est très gentil, mais c'est un Saviniac... Il tient de son père... Il aime la terre... Il serait très capable de vouloir arrondir les siennes à mes dépens et de m'envoyer vivre dans une petite maison, n'importe où... Cela me serait douloureux...
— Il ne faut pas que cela soit possible, dit Gaston, un peu sombre... Je suis tout prêt à signer tous les papiers que tu voudras et même à te laisser Preyssac par testament... Seulement est-ce légal? Je veux dire: est-ce que la valeur de Preyssac n'est pas plus grande que celle de ta part?
— Un peu, mais c'est facile à régler, dit Valentine... quand tu voudras.
— Comment? dit-il. Tu as déjà posé la question à Maître Passaga?
— Oh! par hasard, dit Valentine.

Nouvelle d’A. Maurois
Vocabulaire

1. Remplissez la grille de vocabulaire (Voir p.15) avec les mots:
de façon tranchante ; trancher; léguer ; aux dépens de ; (se) contredire ; sur le tard ; à bon escient ; augure n.m. ; bourru ; débourser; rembourser ; professer ; version n.f. ; thème n.m. ; chapitre n.m. ; (se) flatter ; faveur n.f. ; contraindre ; décent ; licence n.f. ; brave

2. Étude des mots et des expressions
1. Il est à savoir que le verbe contraindre devant un infinitif se construit indifféremment avec à ou avec de (mais plutôt avec à): La maladie le contraignait à vivre à la campagne. On le contraindra de partir.
Toutefois, au sens passif, on emploie à quand contraindre suppose un but, une tendance, une action, ou quand il y a un complément d'agent: Je fus contraint à cette démarche. Il a été contraint par les circonstances à prendre cette mesure.
Si contraint est pris adjectivement, il se construit avec de: La ville fut contrainte de se rendre.

2. Le verbe contredire se conjugue comme médire et n'exige pas de préposition: Vous contredisez tout le monde.

3. Rendre visite à, faire visite à, visiter.
Rendre visite à qn, c'est aller le voir chez lui, mais ce n'est pas for­cément lui rendre une visite qu'il vous a faite (on dit plutôt, dans ce cas: rendre à qn sa visite, rendre à qn la visite).
Faire visite à qn est synonyme de rendre visite à qn.
Visiter peut être pris dans le sens de « faire visite »ou « rendre visite »: visiter un ami
Il se dit surtout pour les malades. La langue actuelle semble l'em­ployer plus souvent pour une ville, un pays, un monument.

4. Retenez le sens du verbe flatter employé à la forme pronominale. Se flatter, se faire illusion: se flatter de réussir. Se vanter: se flatter d'être habile.

5. Retenez les verbes qui se rapportent au mot conversation f: Une conversation s'engage, va son train, roule sur un sujet, se porte sur qn, tourne sur un chapitre, change, dévie, passe du coq-à-l'âne, languit ou tombe, se ralentit, meurt, traîne en longueur, se prolonge, tarit ou cesse ou s'interrompt, se ranime, reprend de plus belle, prend un tour plus élevé.

6. N'oubliez pas la signification de se garder de qui veut dire « se préserver de qch, éviter »: « Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage » (La Fontaine). Elle s'est bien gardée de m'en parler.

3. Trouvez dans le texte le lexique thématique de DROIT. Complétez-le avec les mots et les expressions que comportent les articles de Le Robert notaire et testament.

4. Cherchez les mots de la famille étymologique du mot léguer. Traduisez-les.

Exercices de lexique

1. Expliquez en d’autres mots:
de façon tranchante; léguer; aux dépens de qn; contredire qn; de mauvais augure; sur le tard; à bon escient; être bourru.

2. Précisez la signification des verbes débourser et rembourser. Introduisez-les dans des phrases.

3. Avec quels compléments le verbe professer peut-il se combiner?

4. Quel est le sens du mot version f dans cette phrase: « Les châteaux acceptèrent cette version »? Citez d'autres acceptions de ce mot. Que veut dire une version originale? Qu'est-ce qu'un thème?

5. Par quel mot pouvez-vous remplacer le substantif chapitre dans la phrase: « Et de cette manière, vous comprenez, j'échapperai, sur ce chapitre, aux impôts »? Quelles expressions avec le mot chapitre connaissez-vous?                          

6. Formez des phrases avec le verbe flatter pris dans ses différentes acceptions.

7. Précisez la différence entre avoir droit à qch et avoir le droit de faire qch. Traduisez:
1. Згідно з конституцією, кожен громадянин має право на відпочинок. 2. Ви маєте право подати цю заяву. 3. Чи маєте ви право судити про це? 3. «Чи маєте ви право на стипендію?» — запитав у неї секретар.

8. Traduisez en choisissant un ou quelques adjectifs qui conviennent au sens: court, bref, prompt, intime:
короткий термін; коротка розправа; коротка хвиля; коротке знайомство; в короткий термін; мати коротку пам’ять.
Dites en français: Коротко на словах; бути на короткій нозі з кимсь; руки короткі.

9. Formez des verbes des mots ci-dessus et faites-les entrer dans de petites phrases:
ciment m; valeur f; ingénieux; tranchant; intense; autoritaire.

10. Expliquez le sens des expressions:
 combler de faveurs; gagner la faveur de qn; faites-moi la faveur de; billet de faveur; régime de faveur; en faveur de.

11. Trouvez dans le texte les équivalents des groupements de mots suivants:
жахнути; влаштувати своє життя; записати на чиєсь ім’я; в цьому питанні; він дуже уважний до мене; я почуваюсь чудово; пережити когось на декілька місяців; це здається мені поганою ознакою (предзнаменованием); цей документ підтверджує (уточнює), що; за мій рахунок; за заповітом.

12. Thème:
1. Футбольний матч між командами «Динамо» та «Шахтар» завершився з рахунком 5:2 на користь «Динамо». 2. Вона даремно тішить себе надією вступити до консерваторії. 3. Я не знаю, чому ти хочеш змусити мене замовкнути, мені здається, я також маю право висловитись. 4. Недалеко від інституту знаходилася велика прямокутна ділянка, на якій вирішили розбити сад. 5. Яка ця операція не болюча, вам прийдеться погодитись на неї. 6. Запла­тіть за мене, я вам поверну борг, як тільки отримаю гроші. 7. Він навмисне замовчував це питання. 8. Існують різні тлумачення цієї легенди. 9. Ваш переклад з французької мови на українську всіяний помилками. 10. Раджу вам подивитись цей недубльований фільм, він цікавий за змістом і чудово озвучений. 11. Вона різко відповіла, що це питання її не цікавить. 12. Цей учений почав рано займатись медициною, якій надалі  присвятив все своє життя. 13. Відомий музикант передав свій талант синові, який став відомим скрипачем. 14. Вчений заповів всю свою величезну бібліотеку інститутові. 15. В цьому питанні ви цілковитий невіглас, ваші пробіли непрощенні. 16. На схилі років вона почала вивчати англійську мову. 17. Чи бачили ви комедію Лопе де Вега «Винахідлива закохана»? 18. Не слід перевтомлюватись, завдаючи шкоди своєму здоров’ю. 19. Всупереч материнській забороні дівчинка голубила кішку. 20. Вона відчувала глибоку повагу до своїх вчителів.

Étude du texte
Pour faire le commentaire du texte, répondez aux questions:
Introduction
Que savez-vous sur la vie d’A. Maurois et sur son œuvre?
Résumez l’histoire de la nouvelle, présentez ses personnages.

Développement
A. Intérêt littéraire
Brossez le schéma narratif de la nouvelle (situation initiale, éléments modificateurs, péripéties, dénouement, situation finale). Segmentez le texte en séquences narratives. Quelles fonctions remplissent les descriptions ? Quelle est la tonalité de l’œuvre ?

A. Intérêt psychologique

Relevez les portraits des personnages. Définissez la focalisation (Qui parle ?) Parlez des relations au sein de deux couples. Quel personnage est le protagoniste du récit ? Justifiez votre opinion.

C. Intérêt des idées

Trouvez dans le texte l’illustration de l’antithèse ancien/nouveau. Comment à travers elle l’auteur décrit-il les changements dans la société française d’époque?

Bilan:
Quel phénomène A. Maurois veut-il illustrer dans cette nouvelle ? Quel message comporte le récit ?

Texte complémentaire
LA MAISON
 II y a deux ans, dit-elle, quand je fus si malade, je remarquai que je faisais toutes les nuits le même rêve. Je me promenais dans la campagne; j'apercevais de loin une maison blanche, basse et longue, qu'entourait un bosquet de tilleuls. A gauche de la maison, un pré bordé de peupliers rompait agréablement la symétrie du décor, et la cime de ces arbres, que l'on voyait de loin, se balançait au-dessus des tilleuls.
Dans mon rêve, j'étais attirée par cette maison et j'allais vert elle. Une barrière peinte en blanc fermait l'entrée. Ensuite on suivait une allée dont la courbe avait beaucoup de grâce. Cette allée était bordée d'arbres sous lesquels je trouvais les fleurs du printemps: des primevères, des pervenches et des anémones qui se fanaient dès que je les cueillais. Quand on débouchait de cette allée, on se trouvait à quelques pas de la maison. Devant celle-ci s'étendait une grande pelouse, tondue comme les gazons anglais et presque nue. Seule y courait une bande de fleurs violettes. La maison, bâtie de pierres blanches, portait un toit d'ardoises. La porte, une porte de chêne clair aux panneaux sculpté, était au sommet d'un petit perron. Je souhaitais visiter cette maison, mais personne ne répondait à mes appels. J'étais pro­fondément désappointée, je sonnais, je criais, et enfin je me réveillais.
Tel était mon rêve et il se répéta, pendant de longs mois, avec une précision et une fidélité telles que je finis par penser que j'avais certainement, dans mon enfance, vu ce parc et ce château. Pourtant je ne pouvais, à l'état de veille, en retrouver le souvenir, et cette recherche devint pour moi une obsession si forte qu'un été, ayant appris à conduire moi-même une petite voiture, je décidai de passer mes vacances sur les routes de France, à la recherche de la maison de mon rêve.
Je ne vous raconterai pas mes voyages. J'explorai la Normandie, la Touraine, le Poitou; je ne trouvai rien et n'en fus pas étonnée. En octobre je rentrai à Paris et, pendant tout l'hiver, continuai à rêver de la maison blanche. Au printemps dernier, je recommençai mes promenades aux environs de Paris. Un jour, comme je traversais une vallée voisine de l'Isle-Adam1, je sentis tout d'un coup un choc agréable, cette émotion curieuse que l'on éprouve lorsqu'on reconnaît, après une longue absence, des personnes ou des lieux que l'on a aimés.
Bien que je ne fusse jamais venue dans cette région, je connais­sais parfaitement le paysage qui s'étendait à ma droite. Des cimes de peupliers dominaient une masse de tilleuls. A travers le feuil­lage encore léger de ceux-ci, on devinait une maison. Alors, je sus que j'avais trouvé le château de mes rêves. Je n'ignorais pas que, cent mètres plus loin, un chemin étroit couperait la route. Le chemin était là. Je le pris. Il me conduisit devant une barrière blanche.
De là partait l'allée que j'avais si souvent suivie. Sous les arbres, j'admirai le tapis aux couleurs douces que formaient les per­venches, les primevères et les anémones. Lorsque je débouchai de la voûte des tilleuls, je vis la pelouse verte et le petit perron, au sommet duquel était la porte de chêne clair. Je sortis de ma voiture, montai rapidement les marches et sonnai.
J'avais grand-peur que personne ne répondît, mais, presque tout de suite, un domestique parut. C'était un homme au visage triste, fort vieux et vêtu d'un veston noir. En me voyant, il parut très surpris et me regarda avec attention, sans parler.
 "Je vais, lui dis-je, vous demander une faveur un peu étrange. Je ne connais pas les propriétaires de cette maison, mais je serais heureuse s'ils pouvaient m'autoriser à la visiter.
— Le château est à louer, madame, dit-il comme à regret, et je suis ici pour le faire visiter.
— A louer? dis-je. Quelle chance inespérée!... Comment les propriétaires eux-mêmes n'habitent-ils pas une maison si belle?
— Les propriétaires l'habitaient, madame. Ils l'ont quittée depuis que la maison est hantée.
— Hantée? dis-je. Voilà qui ne m'arrêtera guère. Je ne savais pas que, dans les provinces françaises, on croyait encore aux revenants....
— Je n'y croirais pas, madame, dit-il sérieusement, si je n'avais moi-même si souvent rencontré dans le parc, la nuit, le fantôme qui a mis mes maîtres en fuite.  
— Quelle histoire! dis-je en essayant de sourire.
— Une histoire, dit le vieillard d'un air de reproche, dont vous au moins, madame, ne devriez pas rire, puisque ce fantôme, c'était vous."

Nouvelle tirée du recueil Toujours l'inattendu arrive (1943)
d’A. Maurois
Travail individuel:
1. Analysez
  • des traits qui relèvent du réel et du possible et ceux qui relèvent du mystère et de l’irréel, appréciez l’impression générale qui en résulte.
  • la chute brutale de la nouvelle.
  • l’emploi des temps et leur utilisation dans la description et dans le récit.

2. Comparez le style de l’écrivain dans les deux nouvelles.

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