GALYNA DRANENKO
Littérature
française du XIX° siècle. Lecture analytique
Introduction
Étude de la nouvelle La
Rempailleuse
Séquence narrative 1.
La Rempailleuse
à Léon Hennique
C'était la fin du dîner
d'ouverture de chasse chez le marquis de Bertrans. Onze chasseurs, huit jeunes
femmes et le médecin du pays étaient assis autour de la grande table illuminée,
couverte de fruits et de fleurs.
On vint à parler d'amour, et une
grande discussion s'éleva, l'éternelle discussion, pour savoir si on pouvait
aimer vraiment une fois ou plusieurs fois. On cita des exemples de gens n'ayant
jamais eu qu'un amour sérieux ; on cita aussi d'autres exemples de gens ayant aimé
souvent, avec violence. Les hommes, en général, prétendaient que la passion,
comme les maladies, peut frapper plusieurs fois le même être,
et le frapper à le tuer si quelque obstacle se dresse devant lui. Bien que
cette manière de voir ne fût pas contestable, les femmes, dont l'opinion
s'appuyait sur la poésie bien plus que sur l'observation, affirmaient que
l'amour, l'amour vrai, le grand amour, ne pouvait tomber qu'une seule fois sur
un mortel, qu'il était semblable à la foudre, cet amour, et qu'un cœur touché
par lui demeurait ensuite tellement vidé, ravagé, incendié, qu'aucun autre
sentiment puissant, même aucun rêve, n'y pouvait germer de nouveau.
Le marquis, ayant aimé beaucoup, combattait
vivement cette croyance :
— Je vous dis, moi, qu'on peut aimer
plusieurs fois avec toutes ses forces et toute son âme. Vous me citez des gens
qui se sont tués par amour, comme preuve de l'impossibilité d'une seconde
passion. Je vous répondrai que, s'ils n'avaient pas commis cette bêtise de se
suicider, ce qui leur enlevait toute chance de rechute, ils se seraient guéris
; et ils auraient recommencé, et toujours, jusqu'à leur mort naturelle. Il en
est des amoureux comme des ivrognes. Qui a bu boira — qui a aimé aimera. C'est une affaire de tempérament, cela.
On prit pour arbitre le docteur,
vieux médecin parisien retiré aux champs, et on le pria de donner son avis.
Justement il n'en avait pas :
— Comme l'a dit le marquis, c'est
une affaire de tempérament; quant à moi, j'ai eu connaissance d'une passion qui
dura cinquante-cinq ans sans un jour de répit, et qui ne se termina que par la
mort.
La marquise battit des mains.
— Est-ce beau cela ! Et quel rêve
d'être aimé ainsi ! Quel bonheur de vivre cinquante-cinq ans tout enveloppé de
cette affection acharnée et pénétrante ! Comme il a dû être
heureux et bénir la vie celui qu'on adora de la sorte !
Le médecin sourit :
— En effet, Madame, vous ne vous
trompez pas sur ce point, que l'être aimé fut un homme. Vous le connaissez,
c'est M. Chouquet, le pharmacien du bourg. Quant à elle, la femme, vous l'avez
connue aussi, c'est la vieille rempailleuse de chaises qui venait
tous les ans au château. Mais je vais me faire mieux comprendre.
L'enthousiasme des femmes était
tombé ; et leur visage dégoûté disait : "Pouah !", comme si l'amour
n'eût dû frapper que des êtres fins et distingués, seuls dignes de l'intérêt
des gens comme il faut.
Fiche de vocabulaire 1.
Mot
|
Explications,
exemples d’emploi
|
Synonymes
|
En
ukrainien
|
frapper
|
Atteindre
quelqu'un en le soumettant à l'épreuve de quelque malheur (mort, maladie,
etc.) ou en lui infligeant quelque châtiment.
|
affecter
attaquer
châtier
punir
|
настигнути
|
croyance (f)
|
Assentiment
que donne l'esprit, sans réflexion personnelle et sans examen approfondi.
|
opinion
dogme
|
|
affection (f)
|
Attachement
intime et durable qu'une personne éprouve pour une autre personne (sans
considération d'âge ni de sexe).
Sentiment
désintéressé, moins vif que l'amour, et
plus tendre que l'amitié.
|
attachement
dévotion
passion
|
|
acharné
|
Acharner comporte toujours l'idée d'obstination, appliquée
à une entreprise quelconque.
|
tenace
persévérant
frénétique
|
|
pénétrant
|
Ce qui est
pénétrant, qui affecte profondément.
|
perçant
violent
|
|
rempailleur (m)
paille (f)
|
Personne qui
rempaille les chaises par profession.
Rempailler : refaire en paille le fond de quelque chose
(généralement d'un siège).
Paille (f) : Ensemble de tiges de céréales coupées et dépouillées de leur
grain. Paille filée et tressée que l'on utilise pour la garniture de sièges.
La paille fig. : Chose insignifiante.
De
paille : Qui est
dépourvu d'importance, de consistance; qui est dénué de valeur.
Se mettre sur
la paille : causer
sa propre ruine.
|
перебивник (стільців)
перебивати
солома
|
Compréhension
de la séquence 1.
1. Lisez et traduisez la séquence.
2. Relevez le champ lexical des sentiments :
Noms
|
Adjectifs+ p.p.
|
Verbes
|
amour
|
aimé
|
frapper
|
…
|
3. En quoi consiste la discussion ? Quelle est la différence entre les
opinions des femmes et celles des hommes ?
Séquence narrative 2.
Le médecin reprit :
— J'ai été appelé, il y a trois
mois, auprès de cette vieille femme, à son lit de mort. Elle était arrivée, la
veille, dans la voiture qui lui servait de maison, traînée par la rosse que
vous avez vue, et accompagnée de ses deux grands chiens noirs, ses amis et ses
gardiens. Le curé était déjà là. Elle nous fit ses exécuteurs testamentaires,
et, pour nous dévoiler le sens de ses volontés dernières, elle nous raconta
toute sa vie. Je ne sais rien de plus singulier et de plus poignant.
Son père était rempailleur et sa
mère rempailleuse. Elle n'a jamais eu de logis planté en terre.
Toute petite, elle errait, haillonneuse,
vermineuse, sordide. On s'arrêtait à l'entrée des villages, le long des
fossés ; on dételait la voiture ; le cheval broutait ; le chien dormait, le
museau sur ses pattes ; et la petite se roulait dans l'herbe pendant que le
père et la mère rafistolaient, à l'ombre des ormes du chemin, tous les vieux
sièges de la commune. On ne parlait guère dans cette demeure ambulante. Après
les quelques mots nécessaires pour décider qui ferait le tour des
maisons en poussant le cri bien connu : "Remmmpailleur de chaises !",
on se mettait à tortiller la paille, face à face ou côte à côte. Quand l'enfant
allait trop loin ou tentait d'entrer en relations avec quelque galopin du
village, la voix colère du père la rappelait : "Veux-tu bien revenir ici,
crapule !". C'étaient les seuls mots de tendresse qu'elle entendait.
Quand elle devint plus grande, on
l'envoya faire la récolte des fonds de sièges avariés. Alors elle ébaucha
quelques connaissances de place en place avec les gamins ; mais c'étaient,
cette fois, les parents de ses nouveaux amis qui rappelaient brutalement leurs
enfants : "Veux-tu bien venir ici, polisson ! Que je te voie causer avec
les va-nu-pieds !...".
Souvent les petits gars lui
jetaient des pierres.
Des dames lui ayant donné
quelques sous, elle les garda soigneusement.
Fiche de vocabulaire 2.
Mot
|
Explications,
exemples d’emploi
|
Synonymes
|
En
ukrainien
|
poignant
|
Qui suscite
une émotion vive, violente.
|
bouleversant
tragique
|
|
haillonneux
|
Vêtu de
haillons, en haillons.
|
guenilleux
loqueteux
|
|
vermineux
|
Couvert, plein
de vermine, envahi par la vermine.
|
très sale
repoussant
|
|
sordide
|
D'une saleté
repoussante, d'une misère extrême.
|
crasseux
dégoûtant
pouilleux
|
|
faire le tour
|
Visiter les
lieux, s'y rendre successivement, en revenant sur le point du départ.
|
||
ébaucher
|
Commencer à
établir, constituer, une chose.
|
engager
entamer
|
Compréhension
de la séquence 2.
1. Lisez et traduisez la séquence.
2. Relevez les verbes
qui caractérisent l’activité de la famille de la rempailleuse : par ex., « errer »,
« s’arrêter », etc.
3. Faites la liste des mots ayant
rapport avec le métier du rempailleur.
4. Par quels qualificatifs et
noms est caractérisée la petite fille ?
Séquence narrative 3.
Un jour — elle avait alors onze ans - comme elle passait par ce pays, elle rencontra
derrière le cimetière le petit Chouquet qui pleurait parce qu'un camarade lui
avait volé deux liards. Ces larmes d'un petit bourgeois, d'un de ces petits
qu'elle s'imaginait dans sa frêle caboche de déshéritée, être toujours
contents et joyeux, la bouleversèrent. Elle s'approcha, et, quand elle connut
la raison de sa peine, elle versa entre ses mains toutes ses économies, sept
sous, qu'il prit naturellement, en essuyant ses larmes. Alors, folle de joie,
elle eut l'audace de l'embrasser. Comme il considérait attentivement sa monnaie,
il se laissa faire. Ne se voyant ni repoussée, ni battue, elle recommença ;
elle l'embrassa à pleins bras, à plein cœur. Puis elle se sauva.
Que se passa-t-il dans cette
misérable tête ? S'est-elle attachée à ce mioche parce qu'elle lui avait
sacrifié sa fortune de vagabonde, ou parce qu'elle lui avait donné son premier
baiser tendre ? Le mystère est le même pour les petits que pour les grands.
Pendant des mois, elle rêva de ce
coin de cimetière et de ce gamin. Dans l'espérance de le revoir, elle vola ses
parents, grappillant un sou par-ci, un sou par-là, sur un rempaillage,
ou sur les provisions qu'elle allait acheter.
Quand elle revint, elle avait
deux francs dans sa poche, mais elle ne put qu'apercevoir le petit pharmacien,
bien propre, derrière les carreaux de la boutique paternelle, entre un
bocal rouge et un ténia.
Elle ne l'en aima que davantage,
séduite, émue, extasiée par cette gloire de l'eau colorée, cette apothéose des
cristaux luisants.
Elle garda en elle son souvenir
ineffaçable, et, quand elle le rencontra, l'an suivant, derrière l'école,
jouant aux billes avec ses camarades, elle se jeta sur lui, le saisit dans ses
bras, et le baisa avec tant de violence qu'il se mit à hurler de peur. Alors,
pour l'apaiser, elle lui donna son argent : trois francs vingt, un vrai trésor,
qu'il regardait avec des yeux agrandis.
Il le prit et se laissa caresser
tant qu'elle voulut.
Pendant quatre ans encore, elle versa
entre ses mains toutes ses réserves, qu'il empochait avec conscience en
échange de baisers consentis. Ce fut une fois trente sous, une fois
deux francs, une fois douze sous (elle en pleura de peine et d'humiliation,
mais l'année avait été mauvaise) et la dernière fois, cinq francs, une grosse
pièce ronde, qui le fit rire d'un rire content.
Elle ne pensait plus qu'à lui ;
et il attendait son retour avec une certaine impatience, courait au-devant d'elle
en la voyant, ce qui faisait bondir le cœur de la fillette.
Puis il disparut. On l'avait mis
au collège. Elle le sut en interrogeant habilement. Alors elle usa d'une
diplomatie infinie pour changer l'itinéraire de ses parents et les
faire passer par ici au moment des vacances. Elle y réussit, mais après un an
de ruses. Elle était donc restée deux ans sans le revoir ; et elle le reconnut
à peine, tant il était changé, grandi, embelli, imposant dans sa tunique à
boutons d'or. Il feignit de ne pas la voir et passa fièrement près d'elle.
Elle en pleura pendant deux jours
; et depuis
lors elle souffrit sans fin.
Tous les ans elle revenait
; passait devant lui sans oser le saluer et sans qu'il daignât même tourner les
yeux vers elle. Elle l'aimait éperdument. Elle me dit : "C'est le seul
homme que j'aie vu sur la terre, monsieur le médecin ; je ne sais pas si les
autres existaient seulement". Ses parents moururent. Elle continua leur
métier, mais elle prit deux chiens au lieu d'un, deux terribles chiens qu'on
n'aurait pas osé braver.
Un jour, en revenant dans ce
village où son cœur était resté, elle aperçut une jeune femme qui sortait de la
boutique Chouquet au bras de son bien-aimé. C'était sa femme. Il était marié.
Le soir même, elle se jeta dans
la mare
qui est sur la place de la Mairie. Un ivrogne attardé la repêcha, et la porta à la
pharmacie. Le fils Chouquet descendit en robe de chambre, pour la soigner, et,
sans paraître la reconnaître, la déshabilla, la frictionna, puis il lui
dit d'une voix dure : "Mais vous êtes folle ! Il ne faut pas être bête
comme ça !".
Cela suffit pour la guérir. Il
lui avait parlé ! Elle était heureuse pour longtemps.
Il ne voulut rien recevoir
en rémunération de ses soins, bien qu'elle insistât vivement pour le
payer.
Et toute sa vie s'écoula ainsi.
Elle rempaillait en songeant à Chouquet. Tous les ans, elle l'apercevait
derrière ses vitraux. Elle prit l'habitude d'acheter chez lui des provisions de
menus médicaments. De la sorte elle le voyait de près, et lui parlait, et lui
donnait encore de l'argent.
Fiche de vocabulaire 3.
Mot
|
Explications,
exemples d’emploi
|
Synonymes
|
En
ukrainien
|
caboche (f)
|
Fam. Tête.
Grosse caboche.
|
tête
ciboulot
|
|
déshérité
|
Qui a été
frustré de sa part d'héritage.
Fig. Privé d'avantages matériels ou intellectuels qui sont le lot des autres
hommes.
|
privé
misérable
|
|
à pleins bras
|
Entre ses bras
ouverts.
Saisir,
prendre qn à pleins bras.
Travailler à pleins
bras. Travailler beaucoup.
|
||
grappiller
|
Amasser (de
l'argent) peu à peu, de façon plus ou moins honnête.
|
gratter
|
|
bocal (m)
|
Récipient
cylindrique de verre, de grès, etc., à col très court et à large ouverture,
d'usage domestique, scientifique ou technique.
Bocal de
mirabelles à l'eau-de-vie; bocal (rempli) d'esprit-de-vin; bocal de fœtus.
|
récipient
|
|
verser
|
Remettre de
l’argent à qn.
|
donner
mettre
|
|
réserve (f)
|
Quantité mise
de côté en vue d'un usage ultérieur au moment nécessaire.
|
provision
économies
|
|
empocher
|
Mettre en
poche.
S'approprier
avec avidité et empressement.
Empocher de
l'argent; empocher une somme, un bénéfice, un gain, des intérêts.
|
recevoir
s'approprier de
|
|
en échange de
|
Pour prix de;
à la place de.
|
||
humiliation (f)
|
Fait d'être
humilié.
Humilier : faire apparaître quelqu'un
comme inférieur, méprisable, par des paroles ou des actes qui sont
interprétés comme abaissant sa dignité.
|
abaissement
outrage
|
|
user de
|
Utiliser
quelque chose de façon à obtenir un effet déterminé, la satisfaction d'un
besoin.
|
employer
avoir recours à
se servir de
|
|
itinéraire (m)
|
Chemin, route
à suivre ou suivie pour aller d'un lieu à un autre.
|
trajet
chemin
parcours
|
|
depuis lors
|
Depuis ce
temps-là, depuis ce moment-là/ce jour-là (dans le passé).
|
||
mare (f)
|
Petite étendue
d'eau stagnante, dans une dépression naturelle ou artificielle, de faible
profondeur.
Loc. En mare. Abondamment. Couler en
mare.
|
étang
lac
flaque
|
|
repêcher
|
Retirer de
l'eau (ce qui y est tombé, ce qu'on y a mis).
Repêcher un
cadavre, un noyé.
|
secourir
|
|
frictionner
|
Frotter
rapidement et énergiquement (une partie du corps) à des fins thérapeutiques.
|
frotter
masser
|
|
rémunération (f)
|
Prix d'un
travail fourni ou de services rendus; la somme d'argent
correspondante.
|
rétribution
|
Compréhension
de la séquence 3.
1. Lisez et traduisez la séquence.
2. Résumez l’histoire de la séquence.
3. Repérez le champ lexical des sentiments et celui de l’argent. Lequel
d’entre eux prédomine ?
4. Quelles gestes a fait la rempailleuse pour attirer l’attention de
Chouquet ?
5. Quelle a été sa réaction ?
Séquence narrative 4.
Comme je vous l'ai dit en
commençant, elle est morte ce printemps. Après m'avoir raconté toute cette
triste histoire, elle me pria de remettre à celui qu'elle avait si patiemment
aimé toutes les économies de son existence, car elle n'avait travaillé que pour
lui, disait-elle, jeûnant même pour mettre de côté, et être sûre qu'il
penserait à elle, au moins une fois, quand elle serait morte.
Elle me donna donc deux mille
trois cent vingt-sept francs. Je laissai à M. le curé les vingt-sept francs
pour l'enterrement, et j'emportai le reste quand elle eut rendu le dernier soupir.
Le lendemain, je me rendis chez
les Chouquet. Ils achevaient de déjeuner, en face l'un de l'autre, gros et rouges,
fleurant les produits pharmaceutiques, importants et satisfaits.
On me fit asseoir ; on m'offrit
un kirsch, que j'acceptai ; et je commençai mon discours d'une voix émue,
persuadé qu'ils allaient pleurer.
Dès qu'il eut compris qu'il avait été aimé de cette vagabonde, de cette rempailleuse, de cette rouleuse, Chouquet bondit d'indignation, comme si elle avait volé sa réputation, l'estime des honnêtes gens, son honneur intime, quelque chose de délicat qui lui était plus cher que la vie.
Dès qu'il eut compris qu'il avait été aimé de cette vagabonde, de cette rempailleuse, de cette rouleuse, Chouquet bondit d'indignation, comme si elle avait volé sa réputation, l'estime des honnêtes gens, son honneur intime, quelque chose de délicat qui lui était plus cher que la vie.
Sa femme, aussi exaspérée que
lui, répétait : "Cette gueuse ! cette gueuse ! cette gueuse!...".
Sans pouvoir trouver autre chose.
Il s'était levé ; il marchait à
grands pas derrière la table, le bonnet grec chaviré sur une oreille.
Il balbutiait : "Comprend-on ça, docteur ? Voilà de ces choses horribles
pour un homme ! Que faire, Oh ! si je l'avais su de son vivant, je
l'aurais fait arrêter par la gendarmerie et flanquer en prison. Et elle n'en
serait pas sortie, je vous en réponds !".
Je demeurais stupéfait du résultat
de ma démarche pieuse. Je ne savais que dire ni que faire. Mais j'avais à
compléter ma mission. Je repris : "Elle m'a chargé de vous remettre ses
économies, qui montent à deux mille trois cent francs. Comme ce que je viens de
vous apprendre semble vous être fort désagréable, le mieux serait peut-être de donner cet argent aux pauvres".
Ils me regardaient, l'homme et la
femme, perclus de saisissement.
Je tirai l'argent de ma poche, du
misérable argent de tous pays et de toutes les marques, de l'or et de sous
mêlés. Puis je demandai : "Que décidez-vous ?".
Madame Chouquet parla la première
: "Mais puisque c'était sa dernière volonté, à cette femme... il me semble
qu'il nous est bien difficile de refuser".
Le mari, vaguement confus, reprit
: "Nous pourrions toujours acheter avec ça quelque chose pour nos
enfants".
Je dis d'un air sec : "Comme
vous voudrez".
Il reprit : "Donnez
toujours, puisqu'elle vous en a chargé ; nous trouverons bien moyens de
l'employer à quelque bonne œuvre".
Je remis l'argent, je saluai, et
je partis.
Le lendemain Chouquet vient me
trouver et, brusquement :
— "Mais elle a laissé ici sa
voiture, cette... cette femme. Qu'est-ce que vous en faites, de cette voiture
? — Rien, prenez-là si vous voulez.
— Parfait ; cela me va ; j'en
ferai une cabane pour mon potager.
Il s'en allait. Je le rappelai.
"Elle a laissé aussi son vieux cheval et ses deux chiens. Les voulez-vous
?". Il s'arrêta, surpris : "Ah ! non, par exemple ; que voulez-vous
que j'en fasse ? Disposez-en comme vous voudrez". Et il riait. Puis il me
tendit sa main que je serrai. Que voulez-vous ? Il ne faut pas, dans un pays,
que le médecin et le pharmacien soient ennemis. J'ai gardé les chiens chez moi.
Le curé, qui a une grande cour, a pris le cheval. La voiture sert de cabane à Chouquet
; et il a acheté cinq obligations de chemin de fer avec l'argent.
Voilà le seul amour profond que
j'aie rencontré, dans ma vie".
Le médecin se tut.
Alors la marquise, qui avait des
larmes dans les yeux, soupira :
— "Décidément, il n'y a que
les femmes pour savoir aimer !".
17 septembre 1882
Fiche de vocabulaire 4.
Mot
|
Explications,
exemples d’emploi
|
Synonymes
|
En
ukrainien
|
mettre (de l'argent)
de côté
|
Épargner,
faire des économies.
|
économiser
amasser
|
|
rendre le dernier soupir
|
Mourir.
|
rendre l’âme
|
|
chaviré
|
[En parlant
d'un bateau] Couché sur le flanc, retourné.
|
renversé
|
|
de son vivant
|
Pendant la vie
de quelqu'un.
|
||
saisissement (m)
|
Fait d'être
sous une impression saisissante, subite, violente; résultat de cette
impression.
|
émotion
stupéfaction
|
Compréhension
de la séquence 4.
1. Lisez et traduisez la séquence.
2. Quel rôle joue dans l’histoire de la
rempailleuse le narrateur ?
3. De quelle mission est-il chargé auprès des
Chouquet ?
4. Comment réagissent-ils ?
5. Quelle est la leçon de l’histoire racontée par
le médecin ?
Exercices de
lexique
1. Remplacez les mots en italique par des synonymes contextuels :
·
Quel bonheur de vivre cinquante-cinq ans tout enveloppé de cette affection acharnée et pénétrante !
·
Toute petite, elle errait, haillonneuse, vermineuse, sordide.
·
Ces larmes d'un petit bourgeois,
d'un de ces petits qu'elle s'imaginait dans sa frêle caboche de déshéritée,
être toujours contents et joyeux, la bouleversèrent.
·
Pendant quatre ans encore, elle versa entre ses mains toutes ses réserves, qu'il empochait avec conscience en
échange de baisers consentis.
·
Alors elle usa d'une diplomatie infinie pour changer l'itinéraire de ses parents et les faire passer par ici au moment
des vacances.
·
Un ivrogne attardé la repêcha, et la porta à la pharmacie.
·
Il ne voulut rien recevoir en rémunération de ses soins,
bien qu'elle insistât vivement pour le payer.
·
Ils me regardaient, l'homme et la
femme, perclus de saisissement.
2. Traduisez en
ukrainien les expressions avec le verbe verser:
Verser du
vin dans un tonneau, du thé dans une thermos, du jus de fruit dans une carafe;
verser d'une bouteille dans une autre; verser un métal en fusion dans des
moules; verser un baume sur une plaie, de l'eau sur les mains de qqn; verser un
encrier sur un bureau; verser des
larmes, verser le
sang (de qqn);
verser du charbon dans un poêle;
verser l'or/l'argent (à pleines mains);
les lustres versent leur lumière;
verser ses faveurs à qqn; verser des confidences à
qqn; verser qch dans le cœur,
l'esprit, etc. de qqn; verser un
acompte de mille francs, des arrhes, une caution; verser des intérêts, une
prime; verser une pièce au dossier, un témoignage, une déclaration aux débats;
être versé dans un emploi
administratif; voiture qui
verse dans le fossé; le vent a
fait verser la moisson; verser dans l'orgueil.
3. Traduisez en
français les expressions avec le mot itinéraire :
Непевний маршрут; помилитися напрямом шляху; прокласти шлях; йти вірним
шляхом; вивчати дорогу; змінити курс; маршрут подорожі.
4. Le mot « réserve » est employé dans les différents domaines de la vie
humaine : économie, biologie, minéralogie, droit, histoire, religion,
marine, défense, muséographie, sport, arts, écologie, sciences de la terre,
etc. Indiquez de quel emploi s’agit dans les expressions et les phrases
suivantes. Traduisez-les :
Le niveau de nos réserves en devises est alarmant. Réserves mondiales de pétrole. Donner
son accord sous réserve.
La Sainte
Réserve. Corps, division de réserve. Réserves coutumières. Réserve alcaline. Les réserves du Louvre.
Garder une réserve de puissance. Réserve naturelle. La réserve indienne.
À imprimer en réserve blanche.
5. Traduisez en français les expressions avec le mot « повний » :
acharné, poignant,
випити повну чашу; повний гаманець; кричати на повний голос; на повний
зріст; повна голова клопоту; повна хата людей; повний порядок, в повному
обсязі; при повному параді; сповнений радості.
6. Formez les substantifs à la même racine et traduisez-les :
acharné, poignant, frictionner, verser, user, grappiller, ébaucher
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